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Conditions de levée de la confidentialité des opérations de conciliation antérieures à l’ouverture du redressement judiciaire

Affaires - Commercial
03/06/2022
L’exception au principe de confidentialité des pièces et actes accomplis dans le cadre de la procédure de conciliation devant s’interpréter strictement, la demande de communication de ces pièces ne peut s’inscrire que dans le cas de l’ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Ne peut donc être accueillie la demande – du ministère public – de levée de la confidentialité intervenue un an après l’ouverture de la procédure de redressement.
Toute personne appelée à une procédure de conciliation ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité (C. com., art. L. 611-15). Dans cette procédure préventive, la confidentialité est en effet essentielle tant pour le débiteur que pour les créanciers.

Ce principe de confidentialité connait toutefois une limite, prévue à l’article L. 621-1 du code de commerce – visant la sauvegarde et applicable aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires par renvoi des articles L. 631-7 et L. 641-1 du même code – : l’ouverture d'une procédure de redressement à l'égard d'un débiteur qui bénéficie ou a bénéficié d'une procédure de conciliation dans les dix-huit mois qui précèdent doit être examinée en présence du ministère public, sauf patrimoines distincts ; dans ce cas, le tribunal peut, d'office ou à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces et actes relatifs à la conciliation, nonobstant les dispositions de l'article L. 611-15 précité.

Dans le présent arrêt, la cour d’appel est amenée à apprécier le bien-fondé d’une telle demande de levée de la confidentialité des pièces relatives à une procédure de conciliation.

Décision du tribunal à la demande du ministère public

En l’espèce, une SAS X…, spécialisée dans le développement et la commercialisation de produits et services à destination des professionnels de santé du secteur dentaire, avait bénéficié d’un crédit temporaire par découvert en compte de 500 000 euros mis en place par la société financière Y… le 23 mai 2019, jusqu'à son annulation stipulée au 30 juin 2020.
 
La société X… avait fait l’objet d’une procédure de conciliation, ouverte sur sa requête déposée le 19 juin 2020. Puis, par jugement du 8 septembre 2020, le tribunal de commerce avait ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette société (conversion en liquidation judiciaire le 3 mars 2021), la date de cessation des paiements étant fixée au 1er juin 2020.
 
Pour solliciter l'annulation des remboursements de la ligne de découvert au profit de la banque Y… pendant la période suspecte et obtenir la condamnation de cette dernière en paiement, le mandataire judiciaire avait engagé une action le 23 décembre 2020. Rencontrant, dans le cadre de cette action, des difficultés d’administration de la preuve, le mandataire liquidateur avait ensuite, par courrier du 16 juillet 2021, demandé au ministère public de saisir le tribunal aux fins d’obtenir la levée de la confidentialité des opérations de conciliation ; par requête du 19 août 2021, le ministère public avait demandé au tribunal de commerce d'ordonner la levée de la confidentialité attachée aux opérations de conciliation intervenues avant le jugement de redressement judiciaire et la communication par le conciliateur des rapports, échanges et documents en sa possession, considérant qu'ils avaient perdu leur caractère confidentiel.

Par jugement du 7 décembre 2021, le tribunal de commerce avait ordonné au conciliateur de lui communiquer les pièces et actes relatifs à la procédure de conciliation et ce, avant le 18 janvier 2022.

La banque Y… avait alors interjeté appel de ce jugement, demandant à la cour de statuer à nouveau sur la demande d'application de l'article L. 621-1, alinéa 6, du code de commerce et, à titre subsidiaire, au cas où il serait fait droit à la demande d'application de ce texte, de préciser que les pièces et actes relatifs à la conciliation ne seraient communiqués qu'au tribunal et au ministère public, à l'exclusion de tout autre dont le mandataire liquidateur, et que leur production dans une quelconque instance demeurerait irrecevable.
 
Interprétation stricte de l’exception au principe

Infirmant le jugement du 7 décembre 2021, la cour d’appel rejette la requête du 19 août 2021 aux fins de communication au tribunal des pièces et actes relatifs à la procédure de conciliation de la société débitrice.
 
Ainsi que le souligne la cour, la faculté de lever la confidentialité n'est offerte que sous certaines conditions et sur l'initiative du tribunal, d'office, ou à la demande du ministère public : "s'agissant d'une exception à un principe, les conditions d'application doivent en être interprétées strictement d'autant que le principe de la confidentialité des pièces et actes accomplis dans le cadre de la procédure de conciliation en est un élément essentiel pour convaincre toutes les parties d'y participer et pour sa bonne fin, l'objectif étant de ne pas aggraver la situation du débiteur par la divulgation de ses difficultés aux tiers et de permettre des négociations d'accords amiables en toute discrétion et en toute transparence entre les parties appelées à se concilier ; l'intérêt de ce principe, s'il a notamment pour but de protéger le débiteur, ne cesse cependant pas du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective en suite de la procédure de conciliation, sauf à dissuader les parties à la conciliation, dont les créanciers, d'y prendre part s'ils savent que leurs propositions, les négociations, et tout ce qu'ils ont pu révéler dans ce cadre pourront être utilisés contre eux si la procédure échoue ".

Et de poursuivre que, au regard de cette interprétation stricte, le dernier alinéa de l'article L. 621-1 susmentionné "ne peut être lu comme l'ont fait les premiers juges qui ont considéré que l'ouverture de la procédure permettait au tribunal, à tout moment de celle-ci, d'obtenir la communication des pièces alors que cette demande ne peut s'inscrire que dans le cas de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire" ; ainsi, dès lors que la demande de levée de la confidentialité était intervenue quasiment un an après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, elle ne pouvait être accueillie.
Source : Actualités du droit